Rencontre avec Charles Hedrich

Dire que son parcours est impressionnant est un euphémisme.  Comme tout l’intéresse, Charles Hedrich a décidé de tout vivre, d’assouvir toutes ses passions.  Mais la vie est courte, alors il va vite.

Brillant élève – math sup, math spé – il intègre Saint-Cyr puis l’Ecole Nationale de la Marine Marchande.  Quelques années plus tard, il change de voie, bifurque vers le recrutement et fonde un cabinet de chasseurs de têtes qu’il développe pendant 13 ans en France, en Europe, puis aux Etats-Unis, qu’il introduit en bourse en 1997 et qu’il cède en 2001.  Il vit à Paris mais se ressource dans les Alpes dont il est originaire et où, à ses heures perdues, il devient moniteur de ski…

A 45 ans, il quitte le milieu des affaires pour devenir sportif aventurier.  Peu lui importe si certains doutent, il a suffisamment confiance en lui et se connaît parfaitement pour savoir qu’il y arrivera.  Et comme l’homme est futé et persévérant, il apprend vite, très vite.  Il accentue sa pratique de la montagne qu’il connaît déjà bien – il avait 22 ans lorsqu’il a gravi son premier 7000 – mais surtout, de novice, il devient expert dans la pratique d’autres sports, comme le trail, la voile, la moto, le triathlon,…

Premier défi, le rallye Dakar en 2003 seulement dix mois après avoir obtenu son permis moto.

Toujours en 2003, il bat le record en course de la traversée à la voile Douvres-Calais.

En 2004, il annonce son intention de participer au Vendée Globe 2004-2005. Un différend avec le propriétaire du bateau l’amène à prendre la décision de partir hors-course.  Celui que l’on surnommera le « pirate du Vendée-Globe » finira son tour du monde en solitaire et sans escale et sans assistance en 122 jours.

En 2006, il gravit l’Everest par la voie tibétaine, le 17 mai il atteint le toit du monde.

En 2007, il établit un nouveau record de vitesse de la traversée de l’océan Atlantique à la rame en solo entre Dakar au Sénégal et Guara Point au Brésil en 36 jours et 6 heures.

En décembre 2007, il tente de rallier en ski et kite-ski le pôle Sud depuis l’île Berkner (soit une distance de 1 310 kilomètres) en solitaire et en autonomie.  Un problème médical le force à s’arrêter au bout de 550 kilomètres.  Le seul échec qu’il ait connu dans sa carrière sportive.  Un crève-cœur nous confie t’il.

En 2009, avec Arnaud Tortel, il relie sans ravitaillement le pôle Nord au littoral groenlandais en 62 jours.

Dans la foulée, il réalise avec d’autres co-équipiers un tour du monde à la voile par les deux pôles à bord du Glory of the sea, il traverse alors le passage du Nord-Ouest à la Voile.

En 2011, il enchaîne et passe la ligne d’arrivée de compétitions de références, la Pierra Menta (ski-alpinisme) en mars, l’Ironman de Nice (triathlon longue distance) en juin et l’Ultra-trail du Mont-blanc en août.

À l’automne 2012, il réalise une première en rame océanique : le premier aller-retour non-stop sur l’océan Atlantique.  Il rame pendant 145 jours en solitaire et parcourt 11 000 kilomètres.

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Son nouveau défi, une tentative de première, franchir le mythique Passage du Nord-Ouest à la rame, du détroit de Bering au détroit de Davis au Groenland.  Parti le 1er juillet dernier de la plage de Wales en Alaska, il doit rejoindre le détroit de Davis avant fin septembre pour ne pas se faire prendre dans les glaces.  Une véritable course contre la montre au cours d’un périple long de 7 100 kilomètres.

Nous avons été en contact avec lui par téléphone satellite quelques heures après son départ de Barrow à l’extrême Nord de l’Alaska où il a été contraint d’attendre quelques jours que la glace veuille bien lui laisser se frayer un chemin pour repartir.

Rencontre avec un chasseur d’aventures, un homme de défis à l’instar de Mike Horn ou Steve Fossett, rencontre avec Charles Hedrich à bord de son rameur des glaces.

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Où vous trouvez-vous actuellement ?

J’ai passé le point le plus au Nord de l’Alaska cette nuit.  Je suis actuellement au 71°12N 155°53W, dans une lagune – Elson Lagoon – à 20 mille à l’Est de Point Barrow.  Je navigue à 20 milles des côtes.    Je navigue généralement près des côtes, sauf  lorsque j’ai traversé la mer des Tchouktches  – je naviguais alors à 300 kilomètres des côtes.

Je suis reparti hier du village de Barrow – à 10 mille au Sud de Point Barrow – où je suis resté pendant 5 jours car il y avait des blocs de vieille glace partout.  C’était impraticable.  J’ai dû attendre que la glace disparaisse.  La glace évolue très vite dans cette région.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées jusqu’à présent ?

La glace.  La fonte des glaces semble être plus tardive que les années précédentes.  J’arrive à tracter le rameur sur la banquise sans trop de difficultés mais il faut que ce soit de la banquise uniforme et qu’il n’y ait pas trop de courant.  Je ne devrais plus avoir de problème de banquise.  Il y a désormais un vent du Sud qui pousse la banquise vers le Nord.

La météo est très capricieuse.  Michel Meulnet, mon routeur, que j’ai au téléphone tous les jours, a beaucoup de difficultés à me donner des prévisions précises.  Avant le départ, j’ai attendu 12 jours sur la plage de Wales que le vent baisse significativement.  Puis, j’ai décidé de partir le 1er juillet pour ne pas prendre trop de retard.  J’ai dû me battre contre un vent du Nord qui freinait considérablement ma progression. Après 15 jours de mer, j’ai trouvé le moyen de ne plus reculer en tirant profit de la petite profondeur de la mer des Tchouktches.  Avec un bricolage de cordes mises bout à bout, j’utilise mon ancre marine traditionnelle, et ce même loin des côtes.  J’utilisais une ancre flottante lors de ma traversée aller-retour de l’Atlantique.  Ici, je ne l’ai utilisé qu’une fois lors d’une forte dépression que je n’avais pas vu venir.  L’ancre flottante est efficace contre le vent, mais pas contre le courant.  Or ici, il y a beaucoup de courant.

Logiquement, les dépressions vont d’Est en Ouest.  Je suis désormais au-dessus.  Je ne devrais plus avoir de mauvaises surprises météo.

Autres difficultés : l’humidité et la pluie.  Je suis trempé la plupart du temps. Je me change dix fois par jour !  Le duvet ne sèche jamais complètement.

J’espère que la Mer de Beaufort sera moins hostile à la navigation que sa voisine !

En quoi le passage du Nord-Ouest est-il plus difficile à franchir à la rame qu’en voilier ?

En voilier, du fait du recul des glaces, il n’y a aujourd’hui plus de difficultés majeures à franchir le Passage du Nord-Ouest.  Il faut naturellement que le voilier soit adapté à ce type de régions.

Le rameur, c’est 160 kilos à vide, qu’il faut parfois tracter sur la glace.  Du fait des vagues, le bateau casse tout de suite, et chavire.  Quand il y a un vent de face de 15 nœuds, il est impossible d’avancer car on ne peut pas compenser en ramant.  Avant d’arriver à Barrow, j’ai dû affronter des conditions très difficiles de vent.  J’ai passé trois jours sans dormir, je n’avais pas deux secondes pour appeler mon routeur.

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Cette expédition est-elle plus difficile que votre expédition en 2012 qui consistait à traverser l’Atlantique en aller-retour à la rame ? 

La traversée en aller-retour de l’Atlantique a duré plus longtemps – 145 jours.

Ceci étant, la traversée que je suis en train de faire est plus dangereuse et plus engagée.  Dans l’Atlantique Nord, je ne me suis jamais fait surprendre par une dépression que je n’avais pas vu venir.  Ici, cela m’est déjà arrivé.  J’ai dû rester de nombreuses heures le long d’une falaise sans bouger, avec le risque ultime de pouvoir être confronté à de forts vents catabatiques.

Les conditions de vie durant cette expédition sont plus difficiles.  Il ne fait pas très froid – au minimum -10°C.  Par contre, il y a une très forte humidité.  Il a plu constamment durant les dernières 24 heures.  Mes vêtements Gore-Tex sont constamment mouillés, et ce d’autant plus qu’on transpire beaucoup en ramant.  Des moisissures et des champignons commencent à apparaître à l’intérieur du bateau, sur le fusil, même ! Les conditions de progression sont donc très dures.

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Qu’est ce qui vous a conduit à vouloir relever ce défi ?

Tout m’intéresse. Surtout si le défi est nouveau et s’il y a une première à réaliser ou un record à battre.

Au cas d’espèce, c’est également un concours de circonstances.  Effectuer le Passage du Nord-Ouest à la rame est un défi qui est né à la suite de différentes rencontres. J’ai notamment eu l’opportunité d’échanger avec Mathieu Bonnier qui a tenté le Passage en 2010 et j’utilise d’ailleurs son rameur.  Pierre-Marie Bazin – préparateur de bateaux sur le Vendée Globe – a fait quelques travaux dessus pour l’adapter encore un peu plus aux spécificités de la navigation polaire.  Il peut par exemple percuter la banquise sans problème.  C’est un rameur de 7 mètres extrêmement léger avec une coque en kevlar –  le poids est essentiel sur cette expé.  Le bateau avec lequel j’ai fait la traversée en aller-retour de l’Atlantique aurait été trop lourd.  J’ai eu l’occasion de tester le rameur avant l’expédition lors de quelques sorties d’entraînement avec Pierre-Marie sur le lac Vert près de Chamonix.

Quels sont vos futurs projets ?

J’ai de nombreux projets en tête, par exemple tenter le tour du monde à la voile à l’envers en solitaire et en multicoques ou encore participer à l’une des plus grandes courses de chiens de traîneaux du monde, l’Iditarod qui relie Anchorage à Nome en Alaska.

J’envisage également de participer à la Tor des Geants et j’aimerais me qualifier pour l’Ironman d’Hawaï.

Charles Hedrich est fondateur de l’association Respectons la Terre, qui fédère des sportifs-aventuriers. Une Association reconnue d’intérêt général pour promouvoir le SPORT NATURE AVENTURE. Une équipe de sportifs-aventuriers multi-activités sur tous les terrains du monde. (http://www.respectonslaterre.org/).

Pour en savoir un peu plus sur ses défis, un livre, Charles Hedrich, 10 ans de sport aventures écrit par Ferriel Belcadhi, Philippe Abry et Laura Malbert vient de sortir aux Editions Respectons La Terre (http://www.respectonslaterre-editions.fr/).

Entretien réalisé par Runners to the Pole en juillet 2013.