Je ne voulais pas d’un cocon. Je voulais construire quelque chose de nouveau. Je ne voulais pas simplement gérer quelque chose qui existait, je voulais inventer. S’il fallait que je me brûle les ailes, qu’il en soit ainsi. Mais il devait bien exister un rêve digne d’être poursuivi, avec son lot de joies et d’excitation. I Not fade away : a short life well lived, Laurence Shames et Peter Barton.
En 1997-1998, il traverse l’Antarctique de la Terre Reine Maud à Mc Murdo via le pôle Sud, en ski et kite-ski, avec l’explorateur belge Alain Hubert. L’expédition est difficile : traîneaux déchirés, côtes fracturées, rationnement, marche forcée pour atteindre Mc Murdo avant que les derniers brise-glaces et avions de la saison ne quittent le continent. Il est alors traducteur, ultra-trailer, triathlète, alpiniste. Il a 35 ans, il ne le sait pas encore mais il va devenir l’un des plus grands explorateurs polaires de notre époque. Il est belge, il s’appelle Dixie Dansercoer.
Après différentes expériences, il traverse, en 2007, avec Alain Hubert, l’océan Arctique du Cap Arktishewski en Sibérie jusqu’au Groenland en passant par le pôle Nord, soit 1800 kilomètres en 106 jours.
La même année, en commémoration de l’expédition de la Belgica dirigée par Adrien de Gerlache 110 ans plus tôt, il est le chef d’une expédition en voilier en péninsule Antarctique.
En 2011-2012, il bat le record du monde de la plus longue distance parcourue en Antarctique en kite-ski – soit plus de 5000 kilomètres – en autonomie totale, avec Sam Deltour, rencontré huit ans plus tôt lors d’une compétition d’ultra-trail en Suisse. Les voiles de traction, le moyen favori de déplacement pour cet ancien champion de kitesurf.
Une vie atypique donc, faite d’exploits, d’engagement et de passion, une réussite qu’il doit aussi au soutien attentionné et indéfectible de son épouse, Julie Brown.
Rencontre avec un homme sans cesse à la recherche de nouveaux défis, un explorateur qui transforme chacune de ses aventures en une quête toujours plus profonde de soi, rencontre avec Dixie Dansercoer.
Pourquoi êtes-vous devenu explorateur polaire ?
J’ai eu un coup de foudre pour les régions polaires lors de ma première expédition dans ces régions : une traversée du Groenland, soit 700 kilomètres, en kite-ski. J’avais 33 ans. J’étais fasciné par la calotte, la monotonie, le silence, les grands espaces, l’infini, des choses qu’on ne voit pas au quotidien.
J’ai traversé le Groenland avec Alain Hubert qui était déjà un aventurier polaire expérimenté. J’ai beaucoup appris à son contact. Cette rencontre a aussi été décisive pour mon avenir.
Enfant et adolescent, j’étais très curieux, j’aimais beaucoup le sport, les voyages, mais je n’avais pas d’ambition spécifique. Je ne pensais ni ne voulais devenir explorateur polaire.
J’ai rencontré beaucoup d’aventuriers qui ont lu de nombreux récits d’exploration polaire lorsqu’ils étaient jeunes. Il se sont passionnés de l’histoire des explorateurs du début du 20ème siècle avant même de mettre un pied dans les régions polaires. Pour ma part, c’était plutôt une suite logique de mes passages en montagne avec la grimpe et de multiples sommets. La neige et la glace m’avaient déjà montré leur beauté et mon expérience au Groenland m’a donné envie d’explorer davantage ces contrées.
Quelle expédition en Antarctique avez-vous préférée ? Celle de 1997-1998 ou bien celle de 2011- 2012 ?
Les deux expériences sont uniques, mais la première expédition a été particulièrement marquante pour moi. De nombreux médias nous ont suivis car il n’y avait pas eu alors beaucoup de traversées de l’Antarctique de cette envergure. J’étais jeune, je n’avais pas la même expérience qu’aujourd’hui, l’expédition me paraissait donc beaucoup plus impressionnante et j’ai beaucoup appris aux côtés d’Alain Hubert. Les rôles ont été inversés en 2011 : j’assumais le rôle de chef d’expédition et Sam, 25 ans, s’est trouvé dans la situation que j’avais pu connaître quinze ans plus tôt.
L’objectif de la seconde expédition était beaucoup plus ambitieux, mais je n’ai pas eu l’impression de réaliser un projet aussi grandiose qu’en 1997. L’Antarctique ne me semble en effet plus aussi dangereuse, mystérieuse que lorsque je l’ai traversée la première fois. Je me sens désormais assez à l’aise sur ce continent, et je ne ressens plus aujourd’hui, lors de mes expéditions, ce que j’ai pu ressentir lors de ma première expérience en Antarctique avec Alain Hubert.
Quelles ont été les différences les plus notables – notamment en termes d’équipement, de météo, d’expérience, etc – entre l’expédition de 1997-1998 et celle de 2011-2012 ?
En termes d’équipement, ce sont surtout les moyens de communication qui ont beaucoup évolué. En 1997, nous communiquions avec le QG à Bruxelles par codes Argos, tandis qu’en 2011, nous pouvions téléphoner et envoyer et recevoir des e-mails régulièrement au QG. S’agissant de l’équipement vestimentaire, il y a des petites différences. Les bottines de montagne par exemple étaient très rigides en 1997 alors que ce sont presque des pantoufles aujourd’hui !
En 1997, notre voile de 21 mètres était révolutionnaire. Nous sommes parvenus à établir des records de vitesse grâce à cette voile. C’est la première fois qu’une voile de cette dimension était utilisée pour la traction. En 2011, nous étions davantage habitués à la très grande vitesse que nous pouvons atteindre en utilisant un kite. Cette vitesse ne nous a donc pas surpris. Mais c’est grace à une nouvelle voile de 50 mètres carrés que nous avons pu ‘tweaker’ notre distance journalière pour arriver a une moyenne de 68 kilomètres par jour.
Concernant les conditions météo, en 1997 et 2011, c’était le même défi. Le froid et le vent sont toujours là, peu importe les années. La force du vent peut tout de même varier. Avec Alain, nous sommes restés bloqués cinq jours sous tente à cause du vent catabatique qui était beaucoup trop fort pour nous permettre d’avancer en sécurité. Avec Sam, nous avons pu nous éloigner des régions côtières pour ainsi éviter ces vents qui vont de plus en plus vite par gravité. Nous restions parfois sous la tente, certes, mais c’était au contraire parce qu’il n’y avait pas assez de vent pour la progression en kite.
En 1997, nous avons « marché » sur une distance de 700 kilomètres tandis que nous n’avons pas marché du tout en 2011. Notre approche de l’expédition était complètement différente. Lors de la première expé, l’objectif était de traverser le continent coûte que coûte. Lors de la seconde expé, l’objectif était de parcourir un maximum de kilomètres sur le continent en kite-ski. Il n’aurait servi à rien de « marcher » un jour sans vent en tractant des traîneaux de 170 kilos pour afficher à la fin de la journée un faible kilométrage parcouru alors qu’il est possible de parcourir 100, 200 kilomètres en kite-ski durant une journée ventée. Cela aurait été une perte d’énergie inutile étant donné l’objectif. Alors qu’en 1997, chaque kilomètre parcouru était un pas de plus vers l’objectif final.
Avec Sam, nous avons gâché dix jours au début de l’expédition à cause des sastrugis énormes et le vent de face qui ne nous permettait pas d’utiliser les voiles. L’avion nous a laissés au début de l’expédition dans une zone absolument impraticable parsemée de sastrugis de taille très élevée. Nous tombions sans cesse et progressions peu. Nous avons dû rappeler l’avion pour établir un nouveau départ d’expédition dans une autre zone. A vrai dire, c’est pire que de passer cinq jours sous tente à cause du vent catabatique ! Ceci étant, il faut faire avec, ce sont les aléas inhérents à toute expé.
Comment préparez-vous vos expéditions ?
Il me faut généralement entre deux et quatre ans pour me préparer, le temps d’affiner l’idée, me renseigner, trouver les personnes avec lesquelles je pars, choisir le matériel, définir l’alimentation adéquate, trouver le financement, me préparer physiquement, etc.
Le choix du matériel est essentiel. Il est nécessaire de consacrer beaucoup de temps au choix du matériel qui sera le plus résistant au froid tout en devant faire des compromis entre légèreté et solidité. Et pendant l’expédition, il faut être très vigilant. Si une pièce se déchire ou casse, il faut la réparer tout de suite et ne rien laisser au lendemain.
Il est important aussi de tester le matériel en conditions réelles. Pour l’expédition de 2011 par exemple, il me fallait tester mes nouvelles voiles et le traîneau dans un lieu où je puisse retrouver les mêmes conditions qu’en Antarctique, c’est-à-dire de la glace dure comme du béton. Cela n’existe nulle part ailleurs qu’en Antarctique. Je suis donc allé tester mon matériel en Antarctique pendant 15 jours, sur la base Novo. En 1997, nous étions partis nous entraîner deux fois au Groenland et une fois à Resolute Bay au Canada. Nous ne nous sommes pas rendus compte que les traîneaux n’étaient pas suffisamment solides car la glace n’est pas aussi dure là-bas. Les traîneaux se sont déchirés dès le début de notre expédition !
J’organise généralement une mini-expé de préparation pour mieux connaître mon partenaire, lorsque c’est une personne avec laquelle je ne suis jamais parti.
Sur le plan physique, je commence mon entraînement 6 à 9 mois avant l’expédition. Je suis un programme développé par le Comité Olympique belge. Je travaille mon endurance. Je ne participe plus à des grandes compétitions d’ultra-trail ou des Ironman. Pour l’année 2014, j’ai prévu toutefois de participer à l’EcoTrail de Bruxelles. Je développe, par ailleurs, ma masse musculaire, je fais des exercices de correction de posture, de renforcement du dos. Ces exercices sont nécessaires pour pouvoir tracter une pulka de 170 kilos.
Je n’ai jamais été contraint de reporter une expédition, peut-être parce que je me prépare bien.
Avez-vous des regrets, des déceptions, par exemple eu égard aux expéditions que vous n’avez pas pu mener à leur terme comme la traversée de l’Arctique de la Sibérie au Canada que vous avez tentée avec Alain Hubert en 2002 ou bien la traversée en hiver du détroit de Béring aller-retour que vous avez tentée avec Troy Henkels trois ans plus tard ?
Non, je n’ai pas de regret. On ne vit pas que des succès. On fait souvent un pas en avant et trois en arrière. Il faut toujours trouver le point positif de ce que l’on fait, savoir construire sur l’échec, prendre en compte surtout l’expérience, et pas seulement la réussite ou l’échec, et enfin savoir reconnaître ce dernier.
Quels sont vos projets ?
J’ai pour projet de faire une circumnavigation du Groenland en kite-ski. J’avais déjà ce projet en tête lors de mon expédition en Antarctique en 2011-2012. Je vais partir avec un Canadien, Eric Mc Nair Landry, au mois d’avril prochain.
Nous aurons plus de 5000 kilomètres à parcourir en kite-ski que nous espérons couvrir en moins de 100 jours.
J’ai également un autre projet pour 2015. Avec Alain Hubert, nous avons pour objectif de rallier en kayak le pôle Nord à l’archipel François-Joseph.
Entretien réalisé par Runners to the Pole en décembre 2013.